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La Lutte

Publié le samedi 4 juillet 2015

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Palestine, symbole de Lutte. Mais lutte pour quoi ? Et contre quoi ? De quelle manière ? A l’image d’Allah dans l’Islam, la Lutte ici, on lui applique 99 noms différents. En voici quelques uns.

La première s’appelle Survie. C’est cet homme, qui mène une vie paisible dans son village reculé, dans la région de Naplouse. Pourtant, chaque semaine, il quitte sa femme et ses deux enfants pour aller travailler près de Nazareth, dans les territoires de 48 donc. Chaque semaine, il traverse le check-point de Jénine, ce passage ingrat et capricieux qui ouvre et ferme ses portes à des horaires apparemment inconnus des palestinien-ne-s. Chaque fois la surprise de pouvoir passer de l’autre côté du mur, ou d’y rester bloqué. Pas d’énervement pourtant, pas un mot plus haut que l’autre pour désigner les soldats qui le toisent du bout de leur M16.
Sa lutte à lui, c’est faire vivre sa famille loin de tout cela, loin du mot « occupation », afin que leur quotidien soit plus doux. C’est aussi assurer une sécurité économique à ceux qu’il aime, car c’est là-bas que poussent emploi et fric, grâce aux racines d’ici. Pour cela, il accepte de vendre sa main-d’œuvre à l’occupant, de contribuer à la construction de buildings, de routes ou de lignes de chemin de fer qui signent dans le paysage la marque de la domination israélienne sur le territoire palestinien. Sa lutte à lui, c’est faire taire ses petites voix internes qui l’accusent de se soumettre à la loi du plus fort. C’est bâillonner la part de lui qui n’est pas d’accord. C’est endurer le regard jugeant d’un côté du mur et méprisant de l’autre.

La seconde est Mutation. Bien installé en plein cœur de Ramallah, ce libraire vend des mots pour l’éducation des gamins et d’autres pour parler de la cause palestinienne aux étrangers venus s’échouer dans sa boutique. Chaque mois il fait importer des livres du monde entier, livres qui mettent entre 4 et 6 semaines à lui parvenir. La raison est encore celle de l’occupation : délais interminables des procédures d’acheminement des produits depuis les ports d’Israël jusqu’en « territoire palestinien ».
Il clame son droit à construire une vie « normale », dans une ville qui semble vouloir s’aseptiser du mal, s’auto-persuader de sa nouvelle puissance et liberté. « La situation, dit-il, elle est ancrée dans ma tête, pas dans ma vie. »
Sa lutte à lui, aujourd’hui, ce n’est plus à travers l’activisme parfois brutal auquel il participait alors qu’il était étudiant. Ce qu’il en a compris, c’est que cette voie ne serait source de problèmes que pour lui, pas pour l’occupant. Non, aujourd’hui sa lutte à lui s’exprime à travers le boycott économique et les discussions politiques avec ses clients autour d’un thé et d’un bouquin de Mahmoud Darwich.

L’autre encore se nomme Rage. Elle vit en cet homme et ses amis, tous plus surprenants les uns que les autres. Lui est cameraman. Il n’aime pas son job quand il est appelé pour travailler sur une publicité de Jawal, une compagnie téléphonique palestinienne. Il aime son job quand il peut contribuer à des documentaires dénonçant l’occupation de son pays. Et sur ses longues heures perdues, il pense. Il invente des histoires, touchantes parfois, souvent cyniques. Son inspiration pour écrire des scénarios, pour filmer ces fictions proches de la réalité, pour crier sa colère et sa haine à travers la vidéo reste infatigable. Cette rage ne semble trouver repos qu’auprès de l’ancien ; ce vieil homme qui raconte la vie d’avant, ce combattant des temps passés où l’espoir existait encore, ces bâtisses en ruine qui témoignent de l’existence de son pays aujourd’hui plus que jamais menacé.
Il a un ami singulier, retranché dans son pavillon-musée-boomker de Ramallah. Ensemble, ils redeviennent des mômes. L’un conçoit le scénario d’un gang d’enfants réfugiés luttant à coup de créativité. L’autre, artiste à la marge, professionnel en art-recycling, fabrique les accessoires pour le film qu’ils tourneront ensemble : tuyau d’aspirateur, tambour de machine à laver, boussole, fil barbelé constituent sa matière première pour créer les costumes dignes de films de science fiction hollywoodiens.
A la nuit tombée, la lune en projecteur, il s’empare de la ville éteinte pour en faire son décor. Les ombres qu’il capture sont celles d’un autre ami, rappeur reconnu pour la noirceur de son verbe. Le clip se veut aussi sombre que la politique qu’ils dénoncent.
Sa lutte à lui c’est de contenir ces impatiences à tout changer, c’est de transformer l’ennui en idées, c’est d’apprivoiser la rage qui gronde à l’intérieur. C’est leur lutte à eux aussi.

Il y a aussi la Droiture. Elle parle de tout, et elle parle à tous. C’est celle qui ne déçoit et ne trébuche jamais. Elle habite chez un homme, réfugié comme beaucoup, qui a su sortir la tête quand le fond l’aspirait. En prison, il s’est sauvé des souffrances subies en y menant les luttes qui étaient en son maigre pouvoir, éducation et politique étant ses mots d’ordre. Ils le sont encore aujourd’hui, et dans l’association qu’il a créée, les jeunes expérimentent auprès de lui la discussion, la décision et l’action à contre-courant de l’autoritarisme et de l’inertie ambiante. A son image de révolutionnaire, le centre est un réel laboratoire d’idées nouvelles. Dans chacune de ses prises de position, que ce soit pour sa famille, pour le camp de refugiés dont il est un pillier, ou pour la jeunesse du monde entier, transpire son esprit de justice et de liberté.
Sa lutte à lui, elle parle de tout, de l’oppression vécue ici bien sûr, mais aussi de l’oppression vécue ailleurs, partout, et de toutes les manières. Il est profondément convaincu que ce qui se joue en Palestine est une pièce du puzzle anti-social qui gagne la planète. En cela il considère que nous sommes tous concernés par la Palestine, car nous sommes tous soumis au même système capitaliste et colonialiste destructeur d’hommes.

Et puis on trouve la Force. La force de cette jeune femme, tout juste diplômée et qui déjà s’investit aux quatre coins de Palestine pour partager son talent et son enthousiasme. Elle dessine, elle fabrique, elle peint et se met en scène. Armée de ses pinceaux et de sa vitalité qui inspire, elle a la volonté d’agir sur son monde, de faire passer des idées émancipatrices aux jeunes et de perpétuer la parole résistante qu’elle tient de ses parents.
Issue d’un village, elle a grandit dans une famille modeste, le froid de l’hiver et le labeur ont fait son quotidien. Mais la fatigue n’est pas dans son vocabulaire, elle emmène ses sœurs courir les chemins avant d’aller à l’école, affrontant certains regards interloqués voire accusateurs. Elle compose avec classe entre respect des traditions qui l’ont construite et coups de pied dans les codes qui soumettent la femme.
Sa lutte à elle, c’est de vouloir le Juste pour toutes et tous, c’est de refuser que l’oppression de l’occupant masque celle du sexisme, c’est d’espérer que sa société libérée de ses propres chaînes soit plus forte devant l’occupant. Elle expérimente dans sa vie quotidienne pour vivre en femme libre, sous le regard tendre de son père. Ce père qui a connu la prison israélienne pour avoir prénommé l’une de ses filles… Falestine.

A.

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